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Le Centenaire de Pignon
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                   De quoi s'agit-il puisque Pignon est Franc de Ferrière depuis 110 ans ?
Sur une pierre d'angle de la façade Est, on trouve gravé la date de 1904. C'est donc en cette année.là, il y a cent ans, que fut terminée la construction de la maison actuelle ainsi vraisemblablement que celle de tous les communs, logement pour le personnel, étable et écurie, pressoir et cuvier, chai.àvin et hangar annexe.
                   Georges FRANC de FERRIÈRE avait été reçu «.élève commissaire de la marine » en 1877 et embarqué sur divers vaisseaux *, il navigua jusqu'en 1889, date à laquelle il devint «.Commissaire général de la marine » à Bordeaux où il resta en poste jusqu'à sa retraite en 1905. Entre temps, il avait épousé en 1895 Marguerite de Clermont.
                   Il faut se souvenir que la famille FRANC de FERRIÈRE était de vieille noblesse terrienne.

Georges était né sur la propriété de la Birondie, à Pomport et son père était installé sur le domaine et dans le château du Valladou à Bonneville.

Le Commissaire de la marine avait donc de solides racines terriennes et il n'est pas surprenant qu'étant en poste à Bordeaux et ayant hérité de sa tante un domaine à Juillac, il ait décidé d'en faire une propriété modèle pour l'époque.
Il commença par rassembler les terres qui étaient dispersées sur le territoire de la commune. Il effectua avec succès un remembrement.
Les nombreux actes notariés des archives de Pignon sont les témoins des multiples échanges et achats de pièces de terre ou de vignes qu'il réalisa. Tous les travaux agricoles et tous les transports étaient alors faits par des attelages de bœufs. Rassembler ses terres autour de Pignon permettait ce que l'on appellerait aujourd'hui un gain de productivité inappréciable.

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Seule une pièce de vigne à sa mort était restée à l'écart, la Pillardotte que bien plus tard, mon père, Yann, céda à la famille Capelli installée sur le domaine voisin de La Borie.

Il exploitait sa propriété « en faire valoir direct » avec un " maître valet " et du personnel en particulier pour faire toutes les " petites façons " de la vigne.
Le vin était la production principale.
La qualité des vins de Pignon était renommée
et on dit encore aujourd'hui, dans le pays :
     ......... «.A.Pignon, le vin est bon » !
Cette qualité est toujours due au terroir exceptionnel de Pignon et au choix méticuleux des cépages. Pignon produisait un vin blanc liquoreux très recherché grâce à un assemblage de Sémillon, de Sauvignon et de Muscadelle. Pour les vins rouges, cabernet sauvignon, cabernet franc, merlot et un peu de malbec.
Les vignes étaient soignées méticuleusement.

Quatre " façons " de labour avec les attelages de grands bœufs garonnais, la race que l'on nomme maintenant poétiquement " blonde d'Aquitaine ", deux chaussages, deux déchaussages, puis décavaillonnage avec la jument et enfin, " tirage de cavaillons " à la main avec une large binette. Contre le midiou, sulfatage à la " bouillie bordelaise " contre l'oïdium, soufrage. Et pour finir, une joyeuse " troupe de vendangeurs ", hommes et femmes venait récolter les divers cépages au fur et à mesure qu'ils arrivaient parfaitement à maturité. Il y avait les " coupeurs " avec leurs sécateurs et leurs paniers de bois et les costauds " porteurs " qui parcouraient les rangs de vigne en portant à deux les " bastes " de bois dans lesquelles vendangeurs et vendangeuses vidaient leurs paniers. Dans la tournée de la vigne, au bout des rangs, se trouvait la charrette à bœufs aux deux immenses roues, attendant l'attelage qui viendrait l'emporter vers le pressoir lorsque son chargement de bastes serait complet.

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Et dans ces bastes, les hommes , pantalon retroussé à mi-mollet, foulaient au pied la vendange avant qu'elle ne soit déversée dans le pressoir. Tard dans la nuit, on entendait le cliquetis de la presse qui écrasait le raisin, opérée par deux ou quatre hommes solides poussant inlassablement en avant puis tirant en arrière la longue barre d'acier forgé. Le jus de raisin était pompé, toujours à la main et pendant de longues heures, soit vers les barriques de 220 litres pour le vin blanc soit vers les cuves pour le vin rouge où se passera la précieuse fermentation.
C'était le début du long processus d'élevage du vin, suivi avec soin pendant des semaines par un maître de chai attentif. Ensuite, cet excellent vin était vendu. Georges Franc de Ferrière avait une clientèle parisienne à laquelle il envoyait son vin par chemin de fer en " quarts " de 55 litres . A l'intérieur de la porte du chai, on peut encore voir une marque du pochoir qui était utilisé pour identifier les fûts ainsi expédiés.

Ce qui ne partait pas ainsi était vendu aux négociants en vins traditionnels par l'intermédiaire de courtiers.

Mais à cette époque, Pignon était une propriété équilibrée autour des impératifs de ces temps : le cheptel devait être soigné toute l'année d'où le soin apporté aux prés et prairies qui fournissaient le foin. Il fallait de la paille pour la litière et des bœufs et de la jument.
Donc on cultivait des céréales : du blé que l'on portait au moulin pour la farine du pain quotidien et de l'avoine pour la jument. Avec les gerbes de blé ou d'avoine on construisait une meule.
C'était un art car il ne fallait pas que la pluie puisse pénétrer. Plus tard, sur l'aire de terre battue, on procédait au " dépiquage ". Les gerbes étendues par terre en rond étaient écrasées par un gros rouleau de pierre tronconique tiré par un bœuf. Le battage était achevé au fléau par une équipe d'hommes maniant leurs fléaux en cadence.

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Le grain était séparé de la balle dans un petit ".vent " actionné par une manivelle. Puis mis en sac et soigneusement stocké au grenier à grain.


Avec la paille, on construisait dans un coin de l'aire un " pailler " qui serait repris plus tard pour faire la litière des animaux. Lui aussi devait être parfaitement imperméable pour que la paille ne pourrisse pas. Ces vieilles techniques étaient parfaitement au point. Je crains qu'aujourd'hui elles ne soient un peu perdues
Il fallait aussi produire du maïs pour engraisser les volailles, un potager pour fournir la cuisine, quelques arbres fruitiers, et n'oublions pas la provision de fagots de sarments de vigne et la provision de bois pour se chauffer et faire la cuisine et j'en passe…
 
L'électricité n'arriva à Pignon que aux environs de 1930. Jusque là on s'éclairait à la bougie et avec des lampes à pétrole.

Pour aller au marché ou pour aller à la gare à Castillon, le cocher à l'époque, attelait la jument soit, par beau temps, à la cariolle découverte à deux roues, soit par mauvais temps, au petit omnibus de famille que j'ai encore connu dans ma jeunesse vieillissant au fond d'un hangar.
Les jours de marché, des centaines d'attelages venant de tous les environs envahissaient Castillon. Les bâtiments d'exploitation furent donc conçus en fonction des impératifs du temps : une étable confortable pour six bœufs ou vaches séparée de la grange par un cornadis de bois et avec un très vaste grenier pour stocker le foin, une écurie pour loger deux chevaux avec également son grenier à foin et la chambre du cocher au dessus de la remise à véhicules (devenue depuis lors le garage à voiture).
U
n grand bâtiment abritant pressoir et cuvier avec deux cuves en ciment, une innovation à l'époque et ses grandes cuves de bois.
A l'arrière, un petit atelier avec sa forge et un four à pruneaux.

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Et enfin une construction mixte : un chai pour entreposer le vin en barrique surmonté d'un grand grenier servant à entrposer les grains et servant de dortoir pour les vendangeurs pendant les vendanges.

Voici rapidement décrite l'exploitation agricole développée par Georges Franc de Ferrière. Elle était particulièrement remarquable puisqu'en 1911 elle reçut le Premier Prix du concours annuel organisé par le « Comice Agricole de Castillon ».

Mais s'il mit un point d'honneur à développer une exploitation agricole modèle, il attacha tout autant de prix à construire une maison de maître digne de cette propriété et de sa famille. C'est le « Pignon » que nous connaissons. Certes, il n'y avait ni électricité ni eau courante : on allait chercher l'eau avec des seaux ou des brocs à la pompe qui se trouvait sous la terrasse mais c'était la coutume de l'époque.

La cuisine avec sa grande cuisinière de fonte chauffée soit au bois soit au charbon fournissait suffisamment d'eau chaude pour la toilette des occupants de Pignon.
Ils avaient à leur disposition dans les diverses chambres une table de toilette à dessus de marbre avec une grande et belle cuvette de faïence et le pot à eau froide assorti. Un petit broc d'eau chaude apporté au bon moment et c'était tout ce qu'il fallait à l'époque pour faire une bonne toilette. Il y avait cependant aussi une salle de bain, avant tout pour laver les enfants, mais aussi mise à la disposition des adultes qui le désiraient. La table de toilette en marbre portait elle deux cuvettes mais il y avait aussi un grand " tub " en zinc. Pour l'utiliser confortablement, il fallait au moins un grand broc d'eau chaude.
Il faut dire qu'il y avait aussi à la cuisine une grande marmite de fonte pendue à la crémaillère de la cheminée toujours pleine d'eau plus ou moins chaude suivant l'heure.

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C'est aussi dans cette cheminée que devant des braises de sarments de vigne on faisait griller le pain du petit déjeuner ou de belles entrecôtes à midi.
La cuisinière était reine dans son domaine et il y avait en général deux petites bonnes pour aider au service de maison. Et ce n'était pas du luxe car il n'exista pas la moindre machine ménagère : par exemple, la lessive bouillait pendant des heures dans une grande " lessiveuse " en zinc sur un feu de bois puis le linge était descendu au " lavoir " ultra moderne qui avait été construit dans l'abri sous roche en dessous de la Maison. Là le linge était encore battu au battoir de bois avant d'être rincé puis emporté dans une brouette pour être mis à sécher.

Georges Franc de Ferrière et son épouse attachèrent un soin tout particulier à l'agencement et à la décoration de leur nouvelle maison.

La salle à manger n'a guère dû changer : sa très grande table à rallonges, le vaisselier ancien et ses belles faïences; l'armoire à pointes de diamant, la vaste desserte devaient déjà accueillir leurs hôtes. Petit et grand salons devaient être meublés différemment car à part les deux riches bibliothèques qui se trouvaient au petit salon, la plus part des meubles actuels proviennent de l'héritage du général Siben.

Au premier étage, trois chambres et le bureau de Georges Franc de Ferrière avaient beaucoup de caractère :
La chambre du maître et de la maîtresse de maison, bien sur, sur le palier en face, la chambre « empire » * entièrement garnie de meubles et tableaux d'époque;
Jouxtant celle-ci, la chambre « paysanne » avec ses deux lits à balledaquins habillés de toile de Jouy ancienne.

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Le bureau, très fonctionnel et confortable avec lui aussi une riche bibliothèque aujourd'hui disparue lors de la distribution de ;meubles de Pignon aux petits-enfants de Yann Franc de Ferrière après sa mort.
En résumé on peut dire sans exagérer
 qu'il y a cent ans Pignon 
 était une belle propriété

 avec une fort belle maison de maître.
 
Pignon de 1904 à nos jours
A sa mort en 1914, à la veille même de la Grande Guerre, Georges Franc de Ferrière laissa à son fils Yann qui n'avait que 16 ans un domaine en plein épanouissement.
Malgré son jeune age, il le prit en main immédiatement et avec au début l'appui et les conseils de son oncle Daniel Franc de Ferrière qui habitait au château de Vidasse à Pessac-sur Dordogne la propriété continua à prospérer.
Il partit à la guerre en 1917 laissant en charge son «.Maître-valet ».
Après la guerre, ayant fait l'Agro, ayant épousé Paulette Siben, ils habitèrent Pignon.Il apportait tous ses soins à la production et à la vente de son vin mais en plus il installa un premier rudiment d'eau courante dans la maison et à l'étable en installant un " bélier hydraulique " alimenté par la source et le trop plein du lavoir.
Il y avait dans la maison deux robinets : l'un à la cuisine, l'autre dans la salle de bain ; un troisième desservait l'abreuvoir placé devant la porte de l'étable.


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J'ai le souvenir d'une machine fort capricieuse. Lorsque le bruit de son martellement s'arrêtait, il fallait descendre avec un bâton pour appuyer sur la soupape d'échappement et avec un peu de chance, on le remettait en route.

Lorsque l'électricité arriva à Pignon, il fut remplacé par une pompe électrique. Mais il n'avait toujours que trois robinets et les brocs d'eau chaude continuèrent longtemps à alimenter les tables de toilette et leurs cuvettes de faïence., ainsi que le " tub " de la salle de bain.

Ce ne fut qu'après la fin de la dernière guerre que la maison de Pignon commença à se moderniser.
L'eau chaude fit son apparition, la salle de bain prit forme un chauffage central fut posé au rez-de-chaussée et peu à peu un confort moderne rustique vint remplacer le régime un peu spartiate du « bon vieux temps »...
Et pendant cetempslà, quedevenait lapropriété.? Lorsque Yann Franc de Ferrière et Paulette son épouse quittèrent Pignon, en 1925, le maître valet fut remplacé par un métayer et les voyages à l'époque n'étant pas aisé, Monsieur Labatut de Bordeaux fut chargé de surveiller la bonne marche de la propriété. Mais toujours en suivant les directives de Yann. Je crois que Monsieur Labatut prit sa retraite au moment de la guerre et depuis Pignon fut entièrement dirigée par Yann avec ses divers métayers puis par son fils Jean.
Une petite anecdote : en 1914, à 16 ans, à la mort de son père et à la veille de la guerre, Yann prit en main Pignon. En 1939, Yann, Capitaine d'artillerie étant aux Armées, Jean son fils à 15 ans prit en main le très délicat changement du métayer de Pignon qui prenait sa retraite et l'installation de son successeur.

Qui dit que l'histoire ne se renouvelle pas ?

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Il y eut sur la propriété les familles BARTOUX et MARTINE, puis la.famille MERCIER, enfin les CAPPELLI, avec Antonio et Joséphina. Leur fils Dimitri fut le dernier métayer de Pignon. Lorsqu'il quitta Pignon en 1986 pour se consacrer entièrement à sa propriété de La Borie, Pignon passa du système du métayage qui avait duré près de soixante ans, au système du fermage avec le G.F.A. Clémenceau Père et Fils, Maurice et Dominique.

Hélas Dominique périt dans un accident de la route en 1995 et cette perte fut cruellement ressentie par tous.

En conclusion :  je dirai que si Pignon est aujourd'hui une belle propriété à tous les points de vue, elle le doit à la ténacité et à l'amour de leur terre des divers propriétaires Franc de Ferrière qui se sont succédés depuis 110 ans, mais elle le doit tout autant au dévouement et au travail constant et intelligent de toutes les familles de Maîtres-valets puis de métayers et de fermier qui se sont succédés aussi depuis 110 ans et même avant sur cette propriété de Pignon.
Qu'ils trouvent ici l'expression 
de la reconnaissance sincère
du dernier de la série de ces propriétaires.
Le nu-propriétaire actuel,

  Jean FRANC de FERRIÈRE * 
à Roquebrune-Cap Martin,
le 3 Août 2004
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