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Vacances  
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Colette

  Les arbres sont foncés d'été, et mes sandales blanches brillent dans la pénombre familière du bois. Mon grand-père nous y taille chaque année de nouveaux petits chemins. Il va à pas lents, le sécateur rutilant, séduit par une dalle de calcaire moussue qui s'offre comme un banc, un buisson d'aubépine qui s'élance, ou bien un arbuste à prunelles dont je suis la plus friande. Grand-Pap' nous dit avec un clin d'œil qu'elle sont si âpres qu'on en changerait de sexe, tandis que Grand-Mam' nous prédit sagement la colique. Nous le suivons en piaillant comme des moineaux, nous chamaillant pour ramasser les branchages qui tombent dans un claquement sec suivi d'un froissement. Lors de l'inauguration d'un nouveau tronçon, Grand-Pap' nous ouvre la voie, son canif au clair, près pour les finitions. Il appuie alors le fil de la lame d'un côté du rameau impudent,et d'un coup sec du pouce, arrête le tranchant à fleur de peau. Il nous est interdit de couper ainsi.
Nous sommes fiers de notre tas et rêvons du prochain feu de la Saint-Jean. On me prendra dans les bras et je volerai sur les flammes, mon cousin me l'a promis, bien que Grand-Mam' lui ait dit qu'il n'en était pas question. Moi-même, je suis si petite que je n'ai rien vu de cela encore.
C'est comme un premier été, Un été qui n'en finit pas de cris, d'éclaboussements. Je me rappelle d'une chambre bleue, ailleurs et très loin. Sa silhouette balançait comme les rideaux dans le vent, si souple, ses cheveux dorés en étendard me caressant la joue, à la fin de la sieste. Même son sourire est mince comme un fil.
   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Ma chambre est devenue grise, elle n'est pas là. Son amour qui m'enveloppait de caresses s'est évanoui. Je le savais, je l'ai su lorsque je suis tombée et qu'elle ne m'a pas relevée. Je voudrai trouver le sentier qui l'a emportée, je mets mes sandales blanches, mes pieds sont roses de froid, et je ne sais où commence ce bois. Les marrons d'lnde roulent dans la cour. Parfois, mon grand-père me prend par la main et m'emmène à la poste, je glisse les lettres dans la fente comme si je lui écrivais.

C'est l'automne qui n'en finit pas. Il est devant moi comme par surprise, son corps brille de soleil, son visage décidé arrête ma peur. Peut-être connaîtra-t-il le chemin ? Allongés sur la terrasse de l'école, nous échangeons nos vies, sa liberté m'éclaire comme la lumière dans le sous-bois.
J'ai une autre chambre bleue, le manguier du jardin gratte parfois à la fenêtre et m'éveille doucement.
Le soir, je vais danser. Il pourrait regarder voler mes cheveux autour de moi. Mais non, il reste assis avec ses amis et m'intimide. Alors je garde mes distances pendant que nous tournons dans ma tête. Ses yeux, ses cheveux et son sourire rougeoient comme la sangria versées à la lueur des bougies.

Noële et Jean-Jacques

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Savait-il déjà ? devinait-il que lorsque nous nous atteindrions enfin l'un l'autre, sa vie s'arrêterait à la croisée de nos chemins ? Est-ce pour cela qu'il y mit tant d'années ? La liberté me portait sur sa vague, c'était l'hiver qui se tapissait entre les brins d'herbe, le forsithya illuminait le jardin. Il ne m'a pas montré ce chemin, il m'en a doucement écartée en partant seul.
Et je serai toujours seule dans ma troisième chambre bleue.

 

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Noële au chat
sur une terrasse de café
à Bordeaux.

Photo Jacques Arland

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Alors moi aussi, je suis partie, non plus comme un paquet de petite fille que sa mère n'a plus la force de porter. Non plus comme une femme trop longue et mince pour le fardeau d'un enfant. Non plus comme un homme amoureux volant trop vite dans les rues de Paris. Non. J'ai laissé mon adresse et suivi mon sentier sous les déodars.
Et lorsque l'une ou l'autre ne vient pas à un rendez-vous, tandis que j'attends en lisant mon livre, je pense à ma chance d'être là.

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Madras, avril 98

 
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